Douze
Chris retrouva Élaine pour dîner au Sawyer’s, dans le centre commercial. En dépit du rationnement, Ari Weingart avait insisté pour maintenir l’ouverture des restaurants comme lieux de rencontre et moyen de soutenir le moral de la population. Repas chauds uniquement à midi, rien d’autre que des sandwiches après 15 heures, pas de boissons alcoolisées ni de café à volonté, mais pas d’addition non plus : personne n’étant payé, il n’aurait servi à rien d’essayer de maintenir une économie locale de marché. On avait informé le personnel que la totalité des salaires leur serait payée à la fin de la quarantaine, et on encourageait les clients pourvus de monnaie à laisser un pourboire s’ils l’estimaient mérité.
Ce soir-là, il n’y avait pas d’autres clients que Chris et Élaine – la neige tombée la veille gardait tout le monde chez soi. La seule serveuse à s’être présentée était une adolescente employée à temps partiel, Laurel Brank, qui passait le plus clair de son temps dans le coin opposé de la salle à lire La Maison d’Âpre-Vent sur un affichage de poche tout en piochant dans un bol de Fritos.
« Il parait qu’on a trouvé à te loger », fit Élaine.
Un front froid avait suivi la tempête. L’air était limpide et âpre. Le vent, qui avait forci, redistribuait la neige de la veille et ébranlait les fenêtres du restaurant. « Je me retrouve au milieu de quelque chose que je ne comprends pas bien. Weingart m’a assigné chez une nommée Marguerite Hauser qui vit avec sa fille dans le quartier ouest.
— Je connais ce nom. Elle est arrivée il n’y a pas longtemps de Crossbank pour diriger Observation et Interprétation. » Élaine avait interviewé tous les membres importants des comités de Blind Lake – le genre d’interviews que Chris, avec sa réputation, avait beaucoup de mal à obtenir. « Je ne lui ai jamais parlé, mais elle ne semble pas avoir beaucoup d’amis.
— Des ennemis ?
— Pas tout à fait. Elle est nouvelle, c’est tout. On ne l’a pas encore vraiment acceptée. Son problème, c’est…
— Son ex-mari.
— Voilà. Ray Scutter. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un divorce houleux. Scutter la dénigre. Il ne la pense pas qualifiée pour diriger un comité.
— Tu crois qu’il a raison ?
— Je n’en sais rien, mais elle a des états de service impeccables. Elle n’a jamais été un gros bonnet comme Ray ni eu les mêmes références universitaires, mais elle ne s’est jamais trompée de manière aussi spectaculaire que lui non plus. Tu as entendu parler du débat sur l’intelligibilité culturelle ?
— Certaines personnes pensent qu’on finira par comprendre les Homards un jour. D’autres non.
— Si les Homards nous regardaient, qu’arriveraient-ils, eux, à comprendre de nos activités ? Selon les pessimistes, rien, ou très peu. Ils pourraient déchiffrer notre système d’échange économique et une partie de notre biologie ou de notre technologie, mais comment pourraient-ils interpréter Picasso, ou le christianisme, ou la guerre des Boers, ou Les Frères Karamazov, ou même le contenu émotionnel d’un sourire ? Nous destinons tous nos signaux à nos congénères, et ils sont fondés sur toutes sortes de particularités humaines, depuis notre physiologie externe jusqu’à notre structure cérébrale. Voilà pourquoi les chercheurs classent le comportement des Homards dans des catégories aux noms bizarres : partage de nourriture, échanges économiques, création de symboles. C’est comme si un Européen du XIXe siècle essayait de comprendre le système de parenté kwakiutl sans apprendre la langue ni pouvoir communiquer… Sauf que les Européens et les Indiens ont des besoins et des désirs fondamentaux en commun, alors que nous n’avons absolument rien en commun avec les Homards.
— Donc, ça ne sert à rien d’essayer ?
— C’est ce qu’affirment les pessimistes : rassemblons et collationnons l’information, tirons-en des enseignements, mais abandonnons l’idée de la compréhension ultime. Ray Scutter fait partie de ces pessimistes. Un jour, au cours d’une conférence, il a traité l’idée de compréhension exoculturelle d’“illusion romantique comparable à l’engouement victorien pour les tables tournantes et les spirites”. Il se considère comme un matérialiste pur et dur.
— Tout le monde à Blind Lake ne partage pas ce point de vue.
— Non, bien entendu. Il existe une autre école de pensée. De laquelle il se trouve que l’ex de Ray est membre fondateur.
— Les optimistes.
— On peut les appeler comme ça. Selon eux, bien que le comportement des Homards subisse des contraintes physiologiques uniques, celles-ci sont observables et peuvent être comprises. Et la culture n’est qu’un simple comportement acquis modifié par la physiologie et l’environnement – on peut apprendre ce comportement, donc on peut le comprendre. Ils pensent que si on en apprend suffisamment sur la vie quotidienne des Homards, la compréhension s’ensuivra inévitablement. Tous les êtres vivants ont selon eux certains buts en commun, par exemple le besoin de se reproduire, celui de se nourrir et d’excréter, et ainsi de suite – et cette communauté placerait les Homards davantage sur le plan de cousins éloignés que sur celui d’extraterrestres définitivement étrangers.
— Intéressant. Et toi, qu’en penses-tu ?
— Ce que moi j’en pense ? » Élaine sembla surprise par la question. « Je suis agnostique. » Elle inclina la tête. « Supposons qu’on soit en 1944. Supposons qu’un extraterrestre étudie la Terre, et qu’il tombe par hasard sur un camp d’extermination en Pologne. Il observe les nazis en train d’extraire l’or des dents des Juifs morts, et il se demande : c’est un comportement économique, ça fait partie de la chaîne alimentaire ou quoi ? Il essaye de comprendre, mais il n’y arrivera jamais. Jamais. Parce que certaines choses n’ont tout bonnement aucun sens. Certaines putains de choses n’ont aucun putain de sens.
— C’est ça, le problème entre Ray et Marguerite ? Ce débat philosophique ?
— Il est loin d’être philosophique, du moins en ce qui concerne la politique de Blind Lake. Les carrières se font et se défont. Le gros truc avec UMa47 a été la découverte d’une culture vivante et consciente, et c’est à elle qu’on consacre la majeure partie du temps et de l’attention. Mais si la culture homard est statique et in fine incompréhensible, on ne devrait peut-être pas. Certains planétologues préféreraient étudier la géologie et le climat, il y a même des exozoologistes qui préféreraient voir de plus près d’autres spécimens de la faune locale. On néglige beaucoup de choses pour observer ces bestioles – Les cinq autres planètes du système, par exemple. Aucune d’elles n’est habitable mais aucune non plus ne ressemble à ce qu’on connaît. Les astronomes et les cosmologues réclament depuis des années une diversification.
— Tu veux dire que Marguerite est en minorité ?
— Non… L’opinion publique est en majorité pour l’étude d’Homardville, du moins pour l’instant, mais ce soutien a beaucoup perdu de sa solidité. Ce que Ray Scutter essaye de faire, c’est de pousser ce soutien vers la diversification. Il n’aime pas rester focalisé sur un sujet unique, ce qui est la politique favorite de Marguerite.
— Mais tout ça n’est plus d’actualité… depuis le blocus, je veux dire ?
— Ça prend juste une forme différente. Certains commencent à dire qu’il faut arrêter complètement l’Œil.
— Si on l’arrête, rien ne garantit qu’il remarchera un jour. Même Ray doit le savoir.
— Pour l’instant, ce ne sont que des murmures. Mais leur raisonnement est qu’on nous a mis en quarantaine parce que quelqu’un a peur de ce que l’Œil pourrait voir un jour. Il suffit d’arrêter l’Œil pour que le problème disparaisse.
— Si les gens de dehors voulaient qu’on arrête, ils nous couperaient l’électricité. Un mot à Minnesota Edison ferait l’affaire.
— Ils veulent peut-être qu’on continue à fonctionner juste pour voir ce qu’il va se passer. On ignore leurs raisons. Mais selon ce raisonnement, on est peut-être des cobayes. On devrait peut-être débrancher l’Œil pour voir si ça leur fait ouvrir notre cage.
— Cela représenterait une perte inestimable pour la science.
— Ce dont les journaliers et le personnel civil ne se soucient pas forcément. Ils veulent juste revoir leurs enfants, leurs parents mourants ou leurs fiancées. Même parmi les chercheurs, certains commencent à parler d’“options”.
— Y compris Ray ?
— Ray garde ses opinions pour lui. Mais c’était un converti de dernière minute à l’astrobiologie. Ray croyait à un univers stérile et inhabité. Il a pris le train en marche pour s’assurer une carrière, mais je soupçonne une partie de lui-même de continuer à détester tout ce machin organique pas propre. Selon mes sources, il n’a pas prononcé le moindre mot en faveur de l’arrêt de l’Œil. Mais il n’a rien dit contre non plus. En habile politicien, il attend sans doute de voir dans quelle direction le vent va souffler. »
Une bourrasque secoua la fenêtre. Élaine sourit.
« Il souffle du nord, dit Chris. Et pas qu’un peu. Je ferais mieux de rentrer.
— Ah, tiens, au fait… je t’ai trouvé quelque chose. » Elle fouilla dans le sac à ses pieds. « J’ai fouillé dans les objets perdus du centre communautaire. »
Elle sortit une écharpe en laine marron, que Chris accepta avec reconnaissance.
« Pour empêcher le vent de rentrer dans le col de ta chemise, dit Élaine. Il paraît que t’es allé à pied à l’Allée parler à Charlie Grogan.
— C’est vrai.
— Tu t’es donc remis au boulot ?
— Plus ou moins.
— Tant mieux. Tu as trop de talent pour raccrocher.
— Élaine…
— Non, ne t’inquiète pas, j’ai terminé. Ne te refroidis pas, Chris. »
Il laissa un pourboire pour Élaine et lui et sortit dans la nuit.
Marguerite ne lui avait pas fourni de clé. En revenant du Sawyer’s, il sonna à la porte de la maison mitoyenne. Malgré l’écharpe qu’Élaine avait eu la bonne idée de lui donner, le vent, presque chirurgical, le poignardait dans une douzaine de directions. Les étoiles ondulaient dans le ciel nocturne d’une limpidité brutale.
Il dut sonner deux fois, et ce n’est pas Marguerite qui finit par répondre mais Tessa. La fillette leva vers lui de grands yeux solennels.
« Je peux entrer ?
— Je pense. » Elle lui tint la porte intérieure entrebâillée.
Il se dépêcha de la refermer derrière lui. Ses doigts le brûlaient dans l’air chaud. Il ôta sa veste puis ses chaussures couvertes de neige. Dommage qu’Élaine ne lui ait pas récupéré aussi une paire de bottes. « Ta maman n’est pas là ?
— Elle est en haut, elle travaille. »
C’était une petite fille mignonne mais peu communicative, un rien potelée et avec des yeux de chouette. Elle rappela à Chris sa petite sœur Portia… sauf que Portia n’arrêtait pas de parler. Elle observa Chris avec attention tandis qu’il rangeait sa veste dans la penderie. « Il fait froid dehors.
— Ça oui.
— Vous devriez vous trouver des vêtements plus chauds.
— Bonne idée. Tu crois que ça embêterait ta maman si je faisais du café ? »
Tess haussa les épaules et suivit Chris dans la cuisine. Il versa le bon nombre de cuillers de poudre dans le filtre, puis s’assit à la petite table en attendant que le café passe, la chaleur s’infiltrant à nouveau dans ses extrémités. Tess s’installa en face de lui.
« Ils ont ouvert l’école, aujourd’hui ? s’enquit Chris.
— Seulement l’après-midi. » La fillette posa ses coudes sur la table, les mains sous le menton. « Vous écrivez ?
— Oui », répondit Chris. Sans doute. Peut-être.
« Vous avez écrit un livre ? »
Elle posait la question sans malice. « J’écris surtout pour des magazines. Mais j’ai déjà écrit un livre, oui.
— Je peux le voir ?
— Je n’en ai pas apporté d’exemplaires. »
Tess fut visiblement déçue. Elle se balança sur sa chaise en hochant la tête à intervalles réguliers. « Tu devrais peut-être prévenir ta maman que je suis là.
— Elle n’aime pas qu’on la dérange quand elle travaille.
— Elle travaille souvent aussi tard ?
— Non.
— Je devrais peut-être aller lui dire bonjour.
— Elle n’aime pas qu’on la dérange, répéta Tess.
— Je vais juste tapoter à la porte. Voir si elle veut du café. »
Tess haussa les épaules et resta dans la cuisine.
Marguerite lui avait fait visiter la maison la veille. La porte de son bureau était entrouverte, et Chris s’éclaircit la gorge pour s’annoncer. Assise à une table de travail encombrée, Marguerite gribouillait sur un bloc-notes, mais son attention restait fixée sur l’écran du mur opposé. « Je ne vous ai pas entendu entrer, dit-elle sans lever les yeux.
— Désolé d’interrompre votre travail.
— Je ne travaille pas. Du moins, pas officiellement. J’essaye juste de comprendre ce qu’il se passe. » Elle se tourna pour lui faire face. « Tenez, regardez. »
Sur l’écran, le Sujet grimpait une rampe éclairée par quelques ampoules au tungstène. Le point de vue virtuel flottait derrière lui en gardant la moitié supérieure de son torse au centre de l’image. De dos, pensa Chris, le Sujet ressemble à un lutteur en burka de cuir rouge. « Où va-t-il ?
— Aucune idée.
— Je croyais qu’il avait des habitudes plutôt régulières ?
— Nous ne sommes pas censés parler de lui comme d’une personne, mais juste entre vous et moi, oui, cette créature a des habitudes très régulières. À cette heure, il devrait dormir – si dormir est bien ce qu’ils font lorsqu’ils restent allongés sans bouger dans le noir. »
C’était le genre de discours clinique, soigneusement non compromettant, que Chris en était venu à attendre du personnel de Blind Lake.
« On le suit depuis plus d’un an, dit Marguerite, et son agenda n’a pas varié de plus de quelques minutes. Jusqu’à ces derniers temps, il y a quelques jours, il a passé deux heures dans une assemblée de pourriture qui aurait du durer deux fois moins longtemps… Son régime alimentaire a changé. Ses interactions sociales déclinent. Et ce soir, il semble insomniaque. Asseyez-vous et regardez, si ça vous intéresse, monsieur Carmody.
— Chris, » Il ôta une pile de revues d’astrobiologie posée sur une chaise.
Marguerite alla à la porte crier : « Tess ! »
D’en bas monta un : « Ouais ?
— C’est l’heure du bain ! »
Un trottinement dans l’escalier. « Je ne pense pas avoir besoin d’un bain.
— Oh que si. Je suis encore assez occupée, tu peux te le faire couler ?
— Je crois.
— Appelle-moi quand c’est prêt. »
Ils entendirent bientôt de l’eau couler dans la salle de bains.
Chris observa le Sujet qui montait un autre passage en spirale. Le Sujet était totalement seul, ce qui sortait de l’ordinaire. Les aborigènes avaient tendance à agir en foule, même s’ils dormaient toujours seuls.
« Ils sont plutôt diurnes, en général, dit Marguerite. Une anomalie de plus. Mais quant à savoir où il va… hé ! regardez ! »
Le Sujet avait atteint une arche ouverte et venait de sortir dans la nuit étoilée extraterrestre.
« Il n’est jamais allé à cet endroit jusqu’ici.
— Quel endroit ?
— Un balcon sur la rampe qui monte dans la tour où il habite. Mon Dieu, quelle vue ! »
Le Sujet s’approcha de la petite barrière au bord du balcon. Le point de vue virtuel dériva dans son dos, et Chris put voir Homardville s’étaler derrière le torse granuleux du Sujet. Les portes et balcons des longues tours pyramidales étaient illuminés par les lumières des passages publics. Fourmilières et coquilles de cauri filetées d’or, songea Chris. Lorsqu’il était enfant, ses parents l’emmenaient un ou deux soirs par an se balader en voiture sur Mulholland Drive pour admirer les lumières de Los Angeles en contrebas. Un spectacle qui ressemblait à celui qu’il avait aujourd’hui sous les yeux. Presque aussi vaste. Et presque aussi isolé.
La fringante petite lune de la planète était pleine, et Chris distingua, à l’extérieur de la ville, une partie des terres sèches, les montagnes basses loin à l’ouest et un massif nuageux qu’un vent rapide poussait haut dans le ciel. Des spirales de poussière électrostatiquement chargée tournoyaient au-dessus des champs irrigués, se formant aussi vite qu’elles se dissipaient, comme d’immenses fantômes.
Il vit Marguerite frissonner un peu sans quitter l’écran des yeux.
Le Sujet arriva à la barrière usée. Il s’arrêta, comme s’il hésitait. « Il a des pulsions suicidaires ? demanda Chris.
— J’espère que non, répondit-elle d’une voix tendue. Nous n’avons jamais constaté de comportement destructif, mais on est nouveaux, dans le coin. Jésus, j’espère que non ! »
Mais le Sujet restait immobile, comme absorbé.
« Il regarde la vue, dit Chris.
— Possible.
— Quoi d’autre ?
— On n’en sait rien. C’est pour cela qu’on ne leur prête pas de motivation. Si j’étais à sa place, je regarderais la vue ; mais peut-être profite-t-il de la pression atmosphérique, ou peut-être espérait-il rencontrer quelqu’un, à moins qu’il soit perdu ou désorienté. Ce sont des créatures conscientes et complexes, avec un passé et des impératifs biologiques que personne ne prétend comprendre. On ne sait même pas avec certitude à quel point leur vue est bonne… si ça se trouve, il ne voit pas ce que nous voyons en ce moment.
— Quand même, si j’avais à parier, je dirais qu’il admire la vue. »
Cela valut à Chris un petit sourire. « On peut penser de telles choses, admit Marguerite. Mais on ne doit pas les dire.
— Maman ! » L’appel provenait de la salle de bains.
« J’arrive dans une seconde. Sèche-toi ! » Elle se leva. « J’ai bien peur que ce soit l’heure de coucher Tess.
— Cela vous dérange si je reste encore un peu pour regarder ?
— Pas de problème. Appelez-moi si ça devient passionnant. Tout est enregistré, bien entendu, mais rien ne vaut le direct. Bon, il ne fera peut-être rien du tout. Quand ils se tiennent debout sans bouger, ils restent souvent comme ça pendant des heures.
— Pas très portée sur la fête, comme planète, dit Chris.
— On aimerait bien pouvoir profiter de cette période statique pour explorer la ville. Mais arriver à faire suivre un seul individu par l’Œil a déjà été un petit miracle en soi. Si on regarde ailleurs, on risque de le perdre. Ne vous attendez pas à grand-chose. »
Elle avait raison, à propos du Sujet : il restait d’une immobilité totale face au large horizon de la nuit. Chris observa au loin des tourbillons de poussière, immenses et immatériels, passer au clair de lune sur les plaines. Il se demanda s’ils faisaient du bruit dans l’atmosphère plutôt ténue de la planète. Il se demanda si l’air était chaud ou frais, si le Sujet était sensible à la température. Dire que face à ce comportement tout à fait inhabituel, ils n’avaient rien pour deviner les pensées qui circulaient dans cette tête parfaitement représentée mais parfaitement impénétrable… Que signifiait la solitude pour des créatures uniquement seules la nuit ?
D’agréables bruits lui parvinrent : Marguerite discutant à voix basse avec sa fille, puis la bordant. Une rafale de rires. Marguerite finit par réapparaître sur le seuil. « Il a bougé ? »
La lune avait bougé. Les étoiles avaient bougé. Pas le Sujet.
« Non.
— Je fais du thé, si le cœur vous en dit.
— Merci. Avec plaisir. Je… »
Il fut interrompu par le bruit reconnaissable entre tous du verre qui se brise, suivi par le hurlement aigu et strident de Tessa.
Chris entra dans la chambre de la fillette juste après Marguerite.
Tess criait toujours, un sanglot aigu et soutenu. Assise au bord de son lit, elle pressait sa main droite dans le giron de sa chemise de nuit en flanelle. Du sang avait giclé sur le dessus-de-lit.
La vitre inférieure de la fenêtre était cassée. Des échardes de verre saillaient sur le cadre et un froid polaire s’engouffrait à l’intérieur. Marguerite s’agenouilla sur le lit et souleva Tessa à l’écart des bouts de verre. « Montre-moi ta main, dit-elle.
— Non !
— Si. Ça va aller. Montre-moi. »
Tess détourna la tête, ferma fort les yeux et tendit son poing serré. Du sang filtra entre ses doigts et dévala sur l’articulation. Des taches rouges de sang frais tachaient sa chemise de nuit. Marguerite écarquilla les yeux mais écarta avec fermeté les doigts masquant la blessure. « Tess, qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Tess inspira assez d’air pour répondre. « Je me suis appuyée sur la fenêtre.
— Tu t’es appuyée dessus :
— Oui ! »
Chris comprit qu’elle mentait et que Marguerite acceptait ce mensonge, comme si toutes deux savaient ce qu’il s’était vraiment passé. Il ne pouvait en dire autant. Il roula une couverture en boule qu’il fourra dans la brèche de la fenêtre.
Dans la main droite de la fillette, davantage de sang inonda la paume tendue, formant un petit lac. Cette fois, Marguerite ne put dissimuler un hoquet.
« Il y a du verre dans la plaie ? demanda Chris.
— Je ne peux pas dire… Non, je ne crois pas.
— Il faut faire pression dessus. Et elle aura besoin de points de suture. » Confrontée à ce nouveau motif d’inquiétude, Tess se mit à gémir. « Ne t’en fais pas, dit Chris. C’est arrivé un jour à ma petite sœur. Elle est tombée avec un verre à la main et elle s’est coupée. Plus méchamment que toi. Elle s’en est vantée, plus tard. En disant qu’elle était la seule à ne pas avoir eu peur. Le docteur lui a arrangé cela.
— Quel âge elle avait ?
— Treize ans.
— J’en ai onze », dit Tess, jaugeant son courage à ce nouveau standard.
« Chris, il y a de la gaze dans le placard de la salle de bains. Vous voulez bien aller en chercher ? »
Il rapporta la gaze et un pansement élastique marron. Comme les mains de Marguerite tremblaient, Chris pressa la gaze dans la paume de Tessa et lui dit de serrer le poing dessus. Le tissu se teinta aussitôt d’écarlate. « Il faut la conduire à la clinique, dit-il. Si vous me donnez vos clés, je ferai démarrer la voiture pendant que vous emmitouflez Tessa.
— D’accord. Les clés sont dans mon sac, dans la cuisine. Tess, tu peux marcher ? Attention aux bouts de verre par terre. »
Elle laissa des taches de sang sur la moquette jusqu’en bas des escaliers.
Le centre médical de Blind Lake, une suite de bureaux juste à l’est de Hubble Plaza, gardait sa clinique d’urgence ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’infirmière de service ne regarda Tess qu’un instant avant de la pousser avec sa mère dans une salle de soins. Chris s’assit à la réception où il feuilleta des exemplaires de magazines de voyage vieux de six mois pendant qu’une musique pop légère chuchotait au plafond.
D’après ce qu’il avait vu, Tess ne souffrait que d’une blessure mineure dont la clinique saurait prendre soin. Mieux valait éviter de penser à ce qui aurait pu se passer en cas de blessure plus grave. Bien que correctement équipée, la clinique n’était pas un hôpital.
Tess s’était « appuyée » sur la fenêtre. Sauf qu’on ne cassait pas une vitre de ce genre juste en s’appuyant dessus. Tess avait menti, et Marguerite avait compris pourquoi. Pour une raison dont elle ne voulait pas parler devant un étranger. Un problème avec sa fille, supposa Chris. Colère, dépression, traumatisme consécutif au divorce. Mais la fillette ne lui avait semblé ni en colère ni déprimée lorsqu’elle lui avait parlé dans la cuisine. Et il se souvenait l’avoir entendu rire spontanément dans la chambre quelques instants avant l’accident.
Ce ne sont pas mes affaires, se dit-il. Tess lui rappelait un peu – par son amabilité candide – sa sœur Portia, mais cela ne le regardait pas pour autant. Il avait cessé de vouloir réconforter les affligés et affliger ceux vivant dans le confort. Il n’était pas doué pour cela. Toutes ses croisades s’étaient mal terminées.
Marguerite sortit de la salle de soins, secouée et constellée du sang de sa fille, mais visiblement rassurée. « Ils ont nettoyé et recousu la plaie, informa-t-elle Chris. Tess s’est montrée très courageuse, d’ailleurs, une fois qu’on a vu le docteur. L’histoire de votre sœur lui a fait du bien, je pense.
— J’en suis ravi.
— Merci de votre aide. J’aurais pu la conduire moi-même, mais cela aurait été beaucoup plus compliqué. Et plus effrayant pour Tess.
— Pas de quoi.
— Ils lui ont donné un analgésique. Le docteur dit qu’on peut rentrer à la maison dès qu’il fera effet. Il faudra quand même qu’elle ne bouge pas la main pendant quelques jours.
— Vous avez appelé son père ? »
Le moral de Marguerite baissa aussitôt. « Non, mais il faut, je suppose. J’espère juste qu’il ne va pas péter les plombs. Ray est… » Elle s’interrompit. « Vous ne voulez pas connaître mes problèmes. »
Franchement, non, il ne voulait pas mettre les pieds dans cette histoire. « Excusez-moi », dit-elle avant d’emporter son téléphone à l’autre bout de la salle d’attente.
Chris ne put pas ne pas entendre une partie de la conversation. Il trouva significative la manière dont elle parlait à son ex-mari. D’abord avec une désinvolture étudiée. Expliquant l’accident d’une voix douce, le minimisant, puis se recroquevillant en entendant la réaction de Ray. « À la clinique, finit-elle par dire. Je… » Un temps. « Non. Non. » Un temps. « Ce n’est pas nécessaire, Ray. Non. Tu en fais une montagne. » Un long silence. « Ce n’est pas vrai. Tu sais que ce n’est pas vrai. »
Elle raccrocha sans dire au revoir et prit quelques instants pour se calmer. Puis elle retraversa la salle d’attente entre les rangées de mobilier hospitalier standard, les lèvres serrées, la coiffure de travers, les vêtements tachés de sang. Elle marchait avec une dignité raide, un rejet implicite de ce que lui avait dit Ray Scutter.
« Je suis désolée, mais voudriez-vous sortir démarrer la voiture ? Je vais chercher Tess. Je pense qu’elle serait mieux à la maison. »
Un autre mensonge poli, mais avec une insistance implicite. Il hocha la tête.
Un vent glacé balayait le passage entre la clinique et le parking. Il fut ravi de monter dans la petite automobile de Marguerite pour lancer le moteur. La chaleur monta des conduits du plancher. Des lignes sinueuses de neige soufflées par le vent parcouraient la rue vide. Il regarda les lumières de Hubble Plaza, l’entrée du centre commercial. Les étoiles brillaient toujours et loin sur l’horizon, au sud, il vit les feux de position d’un avion à réaction. Quelque part, des avions continuaient à voler, quelque part, le monde continuait à tourner.
Marguerite sortit de la clinique au bout d’environ dix minutes, mais elle n’avait pas atteint la voiture qu’un autre véhicule entrait à toute allure dans le parking et s’arrêtait dans un crissement de pneus.
L’automobile de Ray Scutter. Marguerite observa avec une appréhension manifeste son ex-mari en sortir et se diriger vers elle d’une démarche rapide et agressive.
Chris s’assura que la portière côté passager n’était pas verrouillée. Mieux valait éviter une confrontation. Ray semblait en rage. Mais Marguerite ne parvint pas à la voiture avant que Ray lui mette la main sur l’épaule.
Marguerite ne quitta pas son ex-mari des yeux, mais poussa Tess derrière elle pour la protéger. Tess tenait sa main blessée sous son blouson. Chris n’entendait pas ce que Ray disait. Tout ce qui lui parvint par-dessus la plainte du moteur fut quelques consonnes aboyées.
Le moment venait de se montrer courageux, ce qu’il détestait. Les gens trouvaient son livre courageux, du moins avant le suicide de Galliano. Comme c’est courageux de votre part de l’avoir écrit, disaient-ils. Le courage ne l’avait jamais mené nulle part.
Il sortit de la voiture et ouvrit la portière arrière pour faire monter Tess.
Ray le regarda d’un air étonné. « Vous êtes qui, vous, bordel ?
— Chris Carmody.
— Il m’a aidée à conduire Tess ici, s’empressa de préciser Marguerite.
— Et là, elle a besoin de rentrer à la maison », conclut Chris. Tess s’était déjà pelotonnée sur la banquette arrière, agile malgré le handicap de sa main bandée.
« De toute évidence, elle n’est pas en sécurité ici », dit Scutter, ses yeux plissés fixés sur Chris.
« Ray, contra Marguerite, nous avons un accord…
— Nous avons un accord écrit avant le blocus par un avocat que je ne peux pas contacter. » Ray avait maîtrisé les tons de l’impatience mâle, mélange à parts égales de gémissement et d’autorité. « Pas question que je te confie ma fille alors que tu permets à ce genre de choses d’arriver.
— C’était un accident, personne n’est à l’abri d’un accident.
— Surtout quand on ne surveille pas les enfants. Tu faisais quoi, tu ne quittais pas ce foutu Sujet des yeux ? »
Marguerite trébucha sur sa réponse. « Ça s’est passé une fois Tess au lit », intervint Chris. D’un signe discret, il incita Marguerite à monter en voiture.
« Vous êtes ce journaliste de tabloïdes… qu’est-ce que vous en savez ?
— J’étais là. »
Marguerite comprit son signe et monta. Ray eut l’air frustré et encore plus en colère lorsqu’il entendit claquer la portière. « J’emmène ma fille, dit-il.
— Non monsieur, répondit Chris. Pas ce soir, désolé. »
Il regarda Ray dans les yeux en se glissant au volant. Tess se mit à pleurer doucement sur la banquette arrière. Ray se pencha sur la portière, mais ce qu’il cria resta inaudible. Chris embraya et s’éloigna, non sans que Scutter ait le temps de décocher un coup de pied dans le pare-chocs arrière.
Marguerite calma sa fille. Craignant de déraper sur le verglas, Chris sortit avec précaution du parking. Ray aurait pu sauter en voiture pour les suivre, mais il sembla choisir une autre solution : la dernière fois que Chris le vit dans le rétroviseur, il était toujours debout à rager d’impuissance.
« Il déteste qu’on le voie comme ça, dit Marguerite. Je suis désolée, j’ai peur que vous vous soyez fait un ennemi, ce soir. »
Sans aucun doute. Chris comprenait l’alchimie par laquelle un homme pouvait se montrer charmant en public et brutal en privé. La cruauté comme intimité de dernier recours. La plupart des hommes n’aimaient pas avoir un public dans ces moments-là.
Elle ajouta : « je dois vous remercier à nouveau, je suis vraiment désolée pour tout ça.
— Ce n’est pas votre faute.
— Si vous voulez trouver un autre endroit pour dormir, je comprendrai.
— Votre sous-sol est toujours plus chaud que le gymnase. Si cela ne vous dérange pas. »
Tess renifla et toussa. Marguerite l’aida à se moucher.
« Je ne peux pas m’empêcher d’y penser…, reprit Marguerite. Si ça avait été pire ? Si on avait eu besoin d’un vrai hôpital ? J’en ai tellement marre de ce blocus. »
Chris s’engagea dans l’allée menant à la maison. « je pense que nous survivrons », dit-il. D’évidence, Marguerite était une survivante.
Épuisée, Tess alla se coucher sur le lit de Marguerite. La maison était froide : avec cet air glacé qui se déversait par la vitre brisée dans la chambre de Tessa, la chaudière peinait à suivre. En farfouillant dans le sous-sol, Chris trouva une lourde bâche de protection en plastique et un grand morceau de placage d’érable. Il fixa le plastique avec du ruban adhésif isolant sur le cadre de la fenêtre cassée puis cloua le placage par-dessus pour faire bonne mesure.
Marguerite était dans la cuisine lorsqu’il redescendit.
« Un dernier verre ? proposa-t-elle.
— Et comment. »
Elle lui servit du café frais et corsé de brandy. Chris consulta sa montre. Minuit passé. Il n’avait aucune envie de dormir.
« Vous devez en avoir assez de m’entendre m’excuser.
— J’ai eu une petite sœur, dit Chris. Ces choses-là arrivent, avec les enfants. Je le sais bien.
— Votre sœur. Portia, vous avez dit.
— On l’appelle tous Porry.
— Vous la voyez toujours ? Enfin, vous la voyiez avant le blocus ?
— Porry est morte il y a quelque temps.
— Oh, désolée…
— Bon, il faut vraiment que vous arrêtiez de vous excuser.
— De… Oh.
— Vous pensez que Ray va vous faire beaucoup d’ennuis pour ce soir ? »
Elle haussa les épaules. « C’est la question de l’année. Il m’en fera autant que possible.
— Cela ne me regarde pas. J’aimerais juste savoir s’il risque de débarquer ici avec un fusil à pompe.
— Ce n’est pas son genre. Ray est seulement… eh bien, qu’est-ce que je pourrais dire sur lui ? Il aime avoir raison. Il déteste qu’on le contredise. Il cherche toujours la bagarre mais déteste perdre, et il a perdu pendant la plus grande partie de sa vie. Il n’aime pas partager la garde avec moi – il n’aurait même pas signé l’accord si son avocat ne lui avait pas dit qu’il ne pouvait espérer davantage – et il me menace toujours d’une nouvelle action en justice pour me prendre Tess. Il considérera ce qu’il s’est passé ce soir comme une preuve de plus de mon incompétence maternelle. Comme des munitions supplémentaires.
— Ce soir, ce n’était pas de votre faute.
— Ray se fiche de ce qu’il s’est vraiment passé. Il se convaincra que j’en suis responsable, ou au minimum que j’ai fait preuve d’une énorme négligence.
— Vous êtes restés mariés combien de temps ?
— Neuf ans.
— Il vous maltraitait ?
— Pas physiquement. Pas tout à fait. Il brandissait le poing, mais sans frapper. Ce n’était pas son style. Mais il m’a clairement fait comprendre qu’il n’avait ni confiance en moi ni une bonne opinion de moi, loin de là. Il m’appelait tous les quarts d’heure pour me demander où j’étais, ce que je faisais et à quelle heure je rentrerais à la maison, en m’avertissant de ne pas être en retard. Il ne m’aimait pas, mais il ne voulait pas que j’accorde mon attention à qui que ce soit d’autre. Au début, j’ai cru à une simple manie, à un défaut de personnalité, à quelque chose qu’il surmonterait.
— Vous aviez des amis, de la famille ?
— J’ai des parents indulgents. Mon père a accepté Ray jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’il ne voulait pas qu’on l’accepte. Ray n’aimait pas que j’aille voir mon père. Ni que je rende visite à des amis. Il fallait que ce soit juste nous deux. Pas de forces équilibrantes.
— Un mariage dont il est bon de sortir, dit Chris.
— Je ne suis pas sûre qu’il croie que c’est terminé.
— Les gens peuvent prendre des mauvais coups dans des situations comme celle-là.
— Je sais. J’ai entendu des histoires de ce genre. Mais Ray n’en viendrait jamais aux mains. »
Chris ne releva pas. « Comment allait Tess lorsque vous lui avez dit bonne nuit ?
— Elle avait l’air plus qu’à moitié endormie. Elle est épuisée, la pauvre petite.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé, selon vous, pour qu’elle casse cette fenêtre ? »
Marguerite prit une longue gorgée de café et sembla examiner la table. « Sincèrement, je n’en sais rien. Mais Tess a eu quelques soucis par le passé. Elle a un problème avec les surfaces réfléchissantes, les miroirs, etc. Elle a dû voir quelque chose qui ne lui plaisait pas. »
Et du coup passer sa main à travers la vitre ? Chris ne comprenait pas, mais cela mettait de toute évidence Marguerite mal à l’aise d’en parler et il ne voulait pas insister. Elle avait eu son lot d’épreuves pour la soirée.
« Je me demande ce que fait le Sujet, dit-il. Nuit blanche à Homardville.
— J’ai tout laissé en marche, non ? » Elle se leva. « Vous voulez jeter un coup d’œil ? »
Il la suivit à l’étage. Ils passèrent sur la pointe des pieds devant la chambre où dormait Tessa.
Le bureau de Marguerite était exactement dans l’état dans lequel elle l’avait laissé, les lumières allumées, les interfaces branchées, le grand écran mural suivant consciencieusement le Sujet. Marguerite poussa une exclamation en voyant l’image.
Le matin était revenu sur la portion d’UMa47/E occupée par le Sujet. Ce dernier avait quitté le balcon pour descendre dans la rue. Les vents de la nuit avaient recouvert toutes les surfaces exposées d’une fine couche de poussière blanche, une texture neuve sous la lumière rasante du soleil.
Marchant dans l’aube, le Sujet approchait d’une arche en pierre cinq fois plus haute que lui. « Où va-t-il ? demanda Chris.
— Je n’en sais rien, dit Marguerite. Mais s’il ne fait pas demi-tour, il va quitter la ville. »